Et si l’urgonien n’était pas seulement une pierre calcaire qui compose les paysages préalpins, une roche sédimentaire couleur de craie qui dessine les falaises sommitales et abruptes du massif de la Chartreuse, ces crêtes irrégulières aux reliefs plissés, enchâssées dans des talus verdoyants dont elles semblent surgir avec aplomb, mais également un peuple, une société aujourd’hui disparue dont l’histoire et la mémoire auraient subi l’érosion du temps ?
C’est de cette archéologie fantasmée qui prend racine dans la géologie du sud-est de la France que naissent les sculptures de Daniel Favre. L’artiste donne forme à un mythe, invente l’histoire d’une société isolée vivant dans la proximité des hauteurs et des pentes inclinées dont elle aurait pu elle-même extraire et travailler la roche qui l’entourait, une société ayant vécu à l’abri, en harmonie avec l’environnement, dans les plissements escarpés que ces terrains lui offrirent comme refuge. Par ce qu’il s’agit ici d’un monde d’avant la séparation de la nature et de la culture où tout ce qui n’appartient pas à la sphère de l’humain se trouve exclu ou minoré, un milieu au contraire où s’organise une cohabitation fertile, un équilibre où les échanges et les rituels réunissent à la fois les hommes, les plantes et les animaux pour former les langues, les savoirs et les coutumes d’un écosystème qui n’a pas laissé de traces.
Gorilles pensifs et méditant, famille conduite sur le dos d’un cheval qui apparait comme un guide, un doyen initiateur, gardien de la sagesse du monde, les sculptures urgoniennes de Daniel Favre donnent à voir les vestiges d’un peuple aux mœurs idylliques, aux langages et aux valeurs désormais enfouis dans les limbes du passé, une communauté qui a traversé silencieusement l’histoire du vivant dont le souvenir est désormais figé dans l’argile aux reflets calcaires qu’a modelée l’artiste.
Romaric Favre
